PSYCHOLOGIE - Cette haine qui terrorise

Quelque temps avant les attentats du 7 juillet, à Londres, qui ont provoqué la mort de 56 personnes, le site d'informations en ligne Le Maroc.org s'interrogeait sur l'ampleur du conflit universel déclenché par le terrorisme. Pour la psychologue et psychothérapeute Florence Achard "les réseaux du terrorisme sont puissants et ses penseurs nihilistes transforment la foi de leurs coreligionnaires en rêve d'holocauste géant. Ils célèbrent la mort."

Les faits montrent que la forme dominante du terrorisme est "d'inspiration religieuse et nationaliste", rappelle la chroniqueuse du Maroc.org. "Il s'agit de terroriser un adversaire au point de le paralyser et de le mettre dans l'incapacité d'agir, soit pour se défendre, soit pour continuer d'attaquer. Cette terreur est toujours absolue puisqu'elle est violence faite aux esprits des individus." Par ailleurs, la psychologue insiste sur un premier constat : "Nous avons le sentiment de nous trouver face à des groupes extrêmement offensifs, et nul ne doute qu'ils le sont dans les faits, mais les groupes terroristes se sentent eux-mêmes menacés par rapport aux valeurs idéologiques auxquelles ils se disent attachés et se considèrent dans une attitude défensive face à un ennemi puissant."

Cependant, ces groupes sont constitués d'êtres humains. Donc une question se pose, de manière récurrente : comment la haine de l'autre peut-elle s'amplifier chez un individu jusqu'à le faire adhérer à un groupe, l'armer, voire l'amener à s'autodétruire ? Réponse de Florence Achard : "Les terroristes sont des opposants au père fort et autoritaire" et se comportent en "fils opprimés en révolte contre un père social tout-puissant et possesseur de richesses". Ce processus met en place une "régression sadique face à une civilisation qui fait peur à un niveau inconscient et qui reconnaît aux femmes les mêmes droits que les hommes". Le terroriste se met en "position de miroir" avec le reste du monde, explique la psychologue. Chaque partie "accusant l'autre de complot pour étendre son emprise sur l'autre, voire de le détruire". Cette lutte totale "s'inscrit dans un système de pensée bloquée, comme elle l'est dans le délire paranoïaque". Car, dans la paranoïa, "aucune élaboration psychique, aucune 'perlaboration' des éléments refoulés n'est possible, la seule manière de se débarrasser des idées délirantes est leur projection. Le clivage absolu du monde entre le mal et le bien a une visée destructrice."

Le sentiment de haine de l'autre est intimement lié à celui de la haine de soi, et cette construction se fait dès l'enfance, souligne Florence Achard. Ainsi, "la dévalorisation systématique de l'enfant par ses parents le met dans un tel état d'insécurité qu'il en devient manipulable à merci par les pouvoirs religieux, militaires ou politiques. Devenir une bombe humaine suppose que la force vitale de l'individu soit totalement détournée vers la haine et la honte de soi." La psychologue considère en outre comme paramètre essentiel les difficultés socio-économiques des parents, qui favorisent "l'attirance vers des groupes nationalistes ou religieux qui promettent une meilleure existence".

Lorsqu'il y a incertitude quant à la survie, la tension qui en résulte agit telle "une menace permanente pour l'intégrité psychique et corporelle de l'enfant. Celui-ci ne peut gérer cette tension seul puisqu'il ne peut accéder à une mentalisation du désespoir de ses parents", poursuit la psychologue. Peu à peu, l'identification "à la terreur de vivre" fait place à la haine et à la violence ; "l'apocalypse du corps semble la seule manière d'en finir avec l'agresseur, même si les véritables agresseurs sont les parents – mais cette donnée n'est pas accessible à la conscience de l'individu".

D'après Florence Achard, tout un chacun est démuni ou dépassé devant cette construction de violence et de haine. "Face à l''ingéniosité' de l'homme dans la barbarie, seul le temps permettrait de dénouer les mécanismes de manipulation." Au demeurant, il n'est pas inutile de rappeler la théorie freudienne de la pulsion de mort, selon laquelle "la libido a pour tâche de rendre inoffensive la pulsion destructrice et s'en débarrasse en la dérivant en partie vers l'extérieur…" Cependant, continue Florence Achard, "la pulsion d'emprise, de destruction et de volonté de puissance est en partie au service de la fonction sexuelle. C'est le sadisme proprement dit, dont une autre partie correspond au masochisme chez l'individu."

Au-delà de la théorie psychanalytique, la chroniqueuse du Maroc.org propose une dernière interprétation. "Les jeunes qui participent aux attentats suicides ont tous en commun une totale absence d'avenir, une réduction drastique de leur potentiel de vie due aux monstrueuses exigences et indifférences des adultes et à la violence de la répression qu'ils ont subie. A force d'être manipulés, ils s'identifient si totalement à la terreur de vivre de leurs parents qu'ils n'ont plus d'autre alternative que d'incarner la terreur et la mort pour être enfin reconnus."



Elisabeth Berthou